On se souvient alors d'avoir rencontré dans cet Archipel de la Manche, placé par Victor Hugo en avant-propos aux Travailleurs de la Mer, ce mot dédaigneux, qu'il met d'ailleurs au compte des Anglais : « Ces trois ou quatre pots de fleurs dans la pièce d'eau... » Trois pots de fleurs : Jersey, Guernesey, Serk. Tous trois, par temps clair, s'aperçoivent de la côte française. Car ce sont des « morceaux de France tombés dans la mer et ramassés par l'Angleterre... » Ils ne bénéficient donc pas de ce « non-lieu » que vaut l'éloignement. Mais on est, si l'on peut dire, bien revenu des îles lointaines. En des temps où les îles-jungles, ont été pénétrées par les tanks, où les orchidées des Philippines ont camouflé les canons, où les récifs de corail se volatilisent à l'heure H, trois pots de fleurs intacts dans une pièce d'eau, c'est considérable !
Ces îles, on les a eues, depuis toujours, devant chez soi, sans se déranger pour leur jeter un regard. Et voici que saturé d'espace par ces inventions redoutables, radio, ciné, télé, dont on abrège le nom, dans l'espoir insensé d'en faire des familiers bienveillants, traîné chaque jour par elles aux bouts du monde, on comprend qu'on ne s'évadera plus qu'en s'enfonçant dans le temps. C'est à Guillaume le Conquérant qu'il faut demander asile, à des seigneurs au fond de leurs châteaux crénelés, à des sénéchaux, des connétables, des baillis... Il en reste. Il reste des îles qui ont refusé de vieillir, et qui se trouvant bien du Moyen Âge l'ont gardé pour âge moyen.